Fraude en R.D.C. – nos excuses et notre réponse
Auteurs: Joe Huston and Stella Luk
Résumé
- Nous avons appris que des membres de notre équipe en R.D.C. ont conspiré avec d’autres personnes en dehors de l’organisation pour frauder nos programmes de transferts monétaires. Aussitôt après la découverte de cette fraude en janvier 2023, nous avons interrompu nos activités afin d’éviter de nouvelles pertes.
- Bien que notre investigation continue, nous estimons jusqu’ici que près de 900 000 $ ont été volés de l’un de nos programmes en R.D.C. sur 6 mois, en détournant des aides destinées à plus de 1 700 familles vivant dans l’extrême pauvreté. Cela signifie que ~1,1 % de l’argent distribué l’année passée a été perdu à cause de cette fraude, ce montant est, à ce jour, le plus élevé que nous ayons enregistré.
- Cette fraude a été rendue possible à cause d’un changement spécifique que nous avons effectué dans notre processus de paiement afin de travailler dans une région isolée et précaire de la R.D.C. Nous avons immédiatement mis en place des mesures pour prévenir la récurrence de ce type de fraude et nous avons engagé des actions disciplinaires et judiciaires contre les personnes concernées.
- Nous regrettons sincèrement que nous n’ayons pas détecté cette fraude plus rapidement et nous prenons très au sérieux les vulnérabilités qu’elle a révélées. Nous nous efforçons d’assurer que les familles qui ont ainsi été privées de ces transferts recevront bien les fonds qu’elles attendaient.
- À ce stade, nous n’avons aucune raison de penser que cette fraude s’étend au-delà de nos programmes dans l’est de la R.D.C. Néanmoins, nous repassons en revue l’ensemble de nos procédures au sein de l’organisation. Nous continuons de croire que les transferts monétaires sont une forme d’aide à la fois efficace, transparente et sûre. Nous utiliserons cette expérience inédite pour améliorer et renforcer davantage nos contrôles.
Depuis plus d’une décennie, GiveDirectly exécute des transferts monétaires vers des familles parmi les plus pauvres en Afrique subsaharienne. En envoyant les transferts monétaires directement aux comptes «mobile money» des destinataires, nous évitons plusieurs formes de fraude ou de commissions en éliminant le besoin de recourir à des intermédiaires ou à payer des frais généraux élevés. La fraude demeure néanmoins un risque dans tous programmes de lutte contre la pauvreté : si l’aide alimentaire peut être volée ou dérobée, il en va de même pour l’argent, qu’il soit délivré en espèces, sur une carte bancaire ou une carte SIM. C’est pourquoi nous avons mis en place des procédures rigoureuses que nous affinons et renforçons continuellement pour dissuader et détecter la fraude.
Cette affaire en R.D.C. est inquiétante pour trois raisons :
- L’ampleur de la fraude, au détriment de personnes vivant dans l’extrême pauvreté;
- Le nombre des membres de notre propre équipe qui y ont participé;
- Le fait que nos systèmes n’ont pas pu la prévenir.
Notre mission principale est de délivrer de l’argent de la manière la plus sécurisée aux destinataires, et dans cette affaire, nous avons échoué. Ci-dessous, nous précisons comment a eu lieu cette fraude ainsi que la manière dont nous y répondons. Il y a une version de ce message en anglais.
Nous demandons pardon aux destinataires et donateurs pour les dégâts causés
Nous demandons avant tout pardon aux familles qui comptaient sur les fonds détournés par ce complot. Ce sont ceux et celles pour qui nous sommes le plus déçus, et nous ferons de notre mieux pour nous assurer qu’ils seront payés. Plus de 60 % de familles congolaises vivent dans l’extrême pauvreté, une pauvreté déterminée en partie par la menace persistante d’actes de violence par les milices dans l’Est. 5,7 millions de personnes sont déplacées et 2,8 millions d’enfants souffrent de malnutrition – ce sont ces populations que notre programme souhaite aider.
Pour comprendre de quoi ces personnes ont été privées, écoutez ces récits et témoignages de leurs voisins qui ont reçu des fonds ou regardez le impacts mis en évidence à travers le monde par des études réalisées sur les transferts monétaires.
À nos donateurs qui lisent ce message, nous demandons pardon pour quelque influence que cette affaire ait eu sur votre confiance en notre compétence pour délivrer vos fonds à ceux et celles qui en ont le plus besoin.
Nous avons engagé des auditeurs externes et nous améliorons nos systèmes de contrôles pour nous assurer que nous pourvoyons de la façon la plus efficace et transparente de donner de l’argent directement aux personnes vivant dans l’extrême pauvreté.
La fraude a eu lieu quand notre personnel en R.D.C. a conspiré avec des personnes en dehors de l’organisation pour détourner des paiements «mobile money»
Les dons de GiveDirectly parviennent aux personnes vivant dans l’extrême pauvreté à travers le «mobile money», une technologie pour envoyer et recevoir des fonds au travers d’une carte SIM. Comme une carte bancaire, ces cartes SIM sont enregistrées avec votre numéro d’identité gouvernementale et protégées par un code PIN. La majorité des personnes avec qui nous travaillons ne possèdent pas encore une carte SIM, alors nous leur en donnons une. Nous évitons beaucoup de risques en éliminant des intermédiaires et en envoyant l’argent directement, mais nous devons cependant nous assurer que la carte SIM est en possession du destinataire approprié. Nous vérifions ceci à plusieurs reprises au cours de notre processus, qui inclut un recensement séparé, l’enregistrement, un contrôle avant et après le paiement, et un suivi téléphonique.
En raison de la violence qui règne dans certaines Régions de la partie orientale de la R.D.C., nous avons créé une exception spécifique à notre modèle de processus de paiements. Normalement, les destinataires enregistrent leurs cartes SIM avec un agent indépendant de «mobile money» et non pas avec notre personnel, mais dans cette région isolée, l’agent le plus proche est souvent à une longue distance. Nous avons dès lors autorisé l’équipe d’enrôlement de GiveDirectly d’enregistrer ces nouvelles cartes SIM pour les destinataires plutôt que les envoyer à des agents. Nous avons créé cette exception afin de protéger ces destinataires en leur évitant de devoir faire un trajet supplémentaire à travers des régions potentiellement très dangereuses.
Désormais, nous savons que lorsqu’ils recrutaient dans des villages au Sud-Kivu, quelques individus de notre personnel ont comploté pour enregistrer des cartes SIM au nom des destinataires (à la suite de l’exemption spéciale). Ils ont alors gardé ces cartes SIM enregistrées pour eux-mêmes, en mettant d’autres cartes SIM dans les téléphones des destinataires. A fin août 2022, nous avons commencé à envoyer des transferts de fonds aux cartes SIM enregistrées, alors que plusieurs d’entre elles étaient sous le contrôle de ce personnel GiveDirectly. Avec l’assistance d’autres personnes en dehors de l’organisation, incluant des agents «mobile money» et d’anciens membres de personnel, ces parties ont alors détourné les fonds destinés aux bénéficiaires. Ils ont continué à voler l’argent de transferts suivants envoyés à ces mêmes cartes SIM jusqu’à ce que nous ayons repéré la fraude et arrêté les paiements.
Tandis qu’il semble simple à première vue, ce complot a impliqué la corruption à plusieurs niveaux de notre système de prévention de fraude. Nos vérifications antifraudes ne sont pas réalisées seulement par l’équipe d’enrôlement. Après l’enregistrement, elles sont validées au cours de visites par une équipe séparée de contrôles internes ainsi qu’un suivi réalisé par notre centre d’appels, tous soutenus par notre service d’appui. Dans cette affaire, les comploteurs ont recruté du personnel local dans chaque couche de ce système afin de supprimer les preuves de cette fraude, incluant les plaintes des familles qui n’ont pas reçu les fonds promis. Pire encore, ils ont comploté avec de tierces parties, des agents «mobile money» pour transférer l’argent de ces cartes SIM volées.
Notre personnel de contrôle a repéré cette fraude, puis l’a confirmé à travers des sources externes
En janvier 2023, de nouveaux membres de notre équipe interne de contrôle ont découvert des indices de fraude dans un autre programme en Ituri, R.D.C., une province avoisinante, où les paiements n’avaient heureusement pas encore commencé. Ici, le processus de détection de fraude a fonctionné comme attendu — ainsi, les craintes ont vite conduit à une investigation. Nous avons vite arrêté tout travail relié à notre programme en Ituri afin de prévenir toutes pertes. Quelques temps après, ayant découvert des indices d’une fraude similaire, nous avons interrompu les paiements en cours dans notre programme du Sud-Kivu.
Pendant les semaines suivantes, avec le soutien des autorités judiciaires locales, nous avons obtenu de l’opérateur télécom le registre de paiements. Nous avons alors pu confirmer que l’argent a été détourné des cartes SIM volées en direction d’autres comptes. Nous enquêtons toujours sur les données de paiement et nous poursuivons des visites de village afin de mesurer l’ampleur précise du vol. Au cours de cette enquête, nous découvrirons peut-être d’autres types de fraudes commises par ce personnel.
Nous avons fait des changements immédiats pour prévenir ce genre de fraude
Puisque plusieurs départements ont été impliqués au niveau du bureau national, nous avons mené un vaste renouvellement de notre personnel en R.D.C. Nous avons aussi soumis quelques individus internes et externes aux autorités locales pour investigation et poursuite.
Une très petite portion des fonds perdus a été récupérée. Nous continuerons à récupérer autant que possible, mais il est probable que la majorité sera irrécouvrable. Par nécessité alors, les fonds pour les destinataires victimes viendront d’argent additionnel de GiveDirectly. Nous ferons de notre mieux pour nous assurer que tous les destinataires affectés seront payés ; cependant, nous ne sommes actuellement pas capables de recommencer les paiements en R.D.C. orientale jusqu’à que l’enquête entière soit achevée.
Pour protéger les destinataires dans les autres programmes en cours, nous adopterons les mesures suivantes :
- Nous séparerons plus les différents départements afin de prévenir la collusion et ajouterons des contrôles et vérifications supplémentaires pour plus vite identifier la corruption potentielle.
- Nous établirons des vérifications de données automatisées à travers l’organisation, qui nous permettraient de plus rapidement découvrir ce genre de fraude dans le futur.
- Une erreur importante de notre part était l’exception relative à l’enregistrement de carte SIM dans la R.D.C., que nous ne répéterons pas sans contrôles additionnels.
Nous partagerons les conclusions de notre enquête avec d’autres organisations travaillant en R.D.C. pour les aider à éviter des points de défaillance similaires.
Nous restons dévoués à livrer de l’aide en argent de la manière la plus sécurisée dans des environnements difficiles
En plus de la violence qu’elle éprouve, la R.D.C. orientale est un lieu particulièrement isolé : 99 % des routes ne sont pas pavées et plusieurs communautés manquent d’une connexion réseau régulière. L’insécurité et l’éloignement rendent les opérations difficiles et maintiennent un niveau de pauvreté élevée. Ces éléments sont aussi ce qui a inspiré ces comploteurs à viser particulièrement les villages les plus lointains, sachant qu’il serait peu probable que les résident(e)s porteraient plainte s’ils ne recevaient pas leurs fonds.
Ceci pose la question de la raison pour laquelle nous intervenons dans un environnement si lointain et dangereux. La réponse est que la majorité des personnes vivant en extrême pauvreté, partout au monde, sont dans des états fragiles et touchés par les conflits. Être capable d’intervenir efficacement dans des contextes comme la R.D.C. est alors essentiel pour lutter contre la pauvreté. En fait, la R.D.C. possède elle-même une des plus grandes populations en extrême pauvreté au monde.
Il ne suffit pas d’être capable de livrer de manière sécurisée des donations dans des états stables comme le Kenya ou le Malawi. Nous savons que la majorité des personnes en pauvreté extrême vivront bientôt dans des environnements beaucoup plus difficiles. Les défis et échecs occasionnels entraînés par cette situation servent seulement à affirmer notre dévouement à construire des systèmes de plus en plus robustes pour livrer de l’aide en argent. Nous espérons que votre dévouement persiste également.
Questions et réponses
En général, rencontrons-nous souvent la fraude dans les programmes mondiaux d’aide?
Souvent, mais généralement, la fraude représente seulement une petite partie des budgets totaux. L’ancien chef antifraude de Oxfam GB précise que « on estime que la quantité de pertes à cause de la fraude est à entre 2 et 5 % du revenu d’une organisation — et beaucoup d’employé(e)s en développement global trouvent cette gamme très plausible. » Les pertes annuelles de GiveDirectly à cause de la fraude (e.g.,) se trouvent systématiquement à ou en dessous de 1 %, même en incluant cette affaire récente.
L’aide en argent serait-elle plus en danger d’être détournée qu’autres formes d’aide?
Non — plusieurs analyses externes ont conclu que les transferts monétaires ne sont pas plus en danger d’être détournés que d’autres formes d’aide. Sur bien de plans, ils peuvent même être plus fiables. Envisagez un programme donnant de l’aide alimentaire à des personnes en pauvreté : le processus d’approvisionnement pour trouver un producteur d’aliments est sensible à la corruption, et le long trajet des aliments entre fabricant et destinataire est à chaque étape ouvert au détournement. Dans le programme d’aide monétaire GiveDirectly, l’argent est transféré numériquement directement de notre compte bancaire à une carte SIM donnée au destinataire. Ainsi que décrit ci-dessus, nous devons encore veiller soigneusement sur ce processus, car il demeure des risques ; néanmoins, il y a beaucoup moins de variables à surveiller en comparaison à d’autres formes d’aide.
Pourquoi livrez-vous l’aide en argent à travers des cartes SIM au lieu qu’en forme de bons ou en argent liquide?
Il y a plusieurs avantages uniques rattachés à livrer les fonds à travers des cartes SIM. Premièrement, les cartes SIM sont à la fois éloignées et numériquement sûres ; l’argent part de notre compte à la carte SIM, sans que des intermédiaires rendent de l’argent liquide en main propre. Deuxièmement, ils sont traçables numériquement, qui permet d’instaurer des contrôles et enquêtes précises, comme celle décrite ci-dessus. Sans ces traces numériques, nous n’aurions pas été capables d’identifier les parties impliquées dans cette fraude. Troisièmement, enregistrer nos destinataires dans le programme « mobile money » en effet fournit une banque pour ceux et pour celles qui n’en ont pas. Ceci donne des avantages en aval, comme des épargnes et de l’accès aux marchés.
Le modèle GiveDirectly de transferts monétaires peut-il fonctionner dans un lieu complexe comme la R.D.C.?
Oui. Notre modèle a bien fonctionné en R.D.C. depuis 2018, livrant 16 millions $ à 69 000 personnes dans 4 provinces. Cette affaire est notre premier cas de fraude en R.D.C. et nous permettra de mieux renforcer notre modèle pour cet environnement unique.
La culture ou l’organisation de l’équipe avait-elle un défaut quelconque qui a contribué à cette fraude?
Cette fraude était possible seulement parce que les comploteurs principaux étaient dirigeants et employés dans positions clés. Ceci les ont permis de corrompre des membres de chaque département de notre bureau en R.D.C., même que plusieurs d’entre eux étaient censés être complètement séparés. Depuis que les programmes ont été interrompus et l’enquête a commencé, nous avons mené un vaste renouvellement de notre personnel en R.D.C.. Tous ou la majorité de ceux qui ont participé ne travaillent plus pour nous. Les autres suspects subissent présentement une procédure disciplinaire dans le but d’évaluer leur participation individuelle.
Puisque plusieurs départements dans le bureau de pays ont participé, nous avons mené un vaste renouvellement de notre personnel en R.D.C. afin de nous assurer qu’aucune personne concernée ne travaille encore pour nous. Nous rétablissons désormais l’équipe.
Pourquoi n’avez-vous pas plus vite découvert cette fraude?
Nous avons découvert cette fraude environ de 5 mois après le premier détournement de paiements. La raison principale que nous ne l’avons pas repérée plus vite est la collusion sans précédent entre départements séparés, y compris les équipes de contrôle chargées elles-mêmes à identifier telles affaires.
Pouviez-vous être certains que beaucoup plus d’argent n’a pas été perdu dans d’autres programmes à cause de fraudes méconnues?
Quoique cette affaire démontre que notre système en R.D.C. avait des vulnérabilités, elle démontre aussi que notre système de contrôle est effectivement capable de repérer la fraude. Bien que nous n’avions pas pu arrêter cette affaire avant que l’argent soit perdu, nous l’avons arrêtée. Il est bien sûr impossible de connaître parfaitement nos pertes chaque année, mais nous n’avons aucune raison de croire qu’il n’y a de la fraude importante pas encore découverte.
Pourquoi publiez-vous maintenant cette information?
Discuter ouvertement la fraude est essentiel pour le développement de la confiance et pour aider les autres acteurs à améliorer leurs systèmes. Nous avons donc partagé telles informations par le passé (e.g. 1, 2, 3). Notre enquête pouvant maintenant indiquer avec compétence comment l’argent a été volé et en quelle quantité, nous avons trouvé que ce serait prudent d’aviser nos donateurs et le public à propos de cette affaire. Nous publions cette information de façon proactive et non en réponse à une menace spécifique ou une exigence externe. Si certaines parties de ce message semblaient vagues ou obscures, ceci est seulement pour protéger les détails délicats d’une enquête en cours et d’une procédure judiciaire en instance.
Depuis 2018, GiveDirectly a livré 16 millions $ à plus de 69 000 personnes dans 4 provinces de la R.D.C. avec un personnel local d’entre 30 et 100 personnes. Mondialement, GiveDirectly a livré 670 millions $ à 1,45 million de personnes dans 14 pays depuis 2011 et à présent a plus de 825 employé(e)s.